Deux nouvelles ventas XXL vont ouvrir. Cette soif de défier les autres zones frontalières connaît-elle des limites ?
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Txomin Iribarren, président de l’association des commerçants : « Avant, la frontière c’était alcool-tabac-essence. Aujourd’hui, les gens viennent chez nous acheter de la viande et s’habiller ». photo E.D.
La brebis de Dancharia pensait avoir tout vu. Depuis l'ouverture des frontières, elle a appris à partager son pâturage avec toutes sortes de voisins. Boîtes de nuit, cidreries, jardineries, parfumeries… Mais le mouton navarrais n'est pas au bout de ses surprises. Avant Pâques, deux nouvelles ventas XXL devraient voir le jour sous son museau
L'une d'elle se situe dans le prolongement du bureau de tabac Arrechea, près des anciennes guérites de douanes. Le gros œuvre (20 000 mètres carrés dont 15 000 de surface commerciale !) est déjà bâti. « Ce sera le plus grand centre commercial du coin », lance Santiago Villares, le maire d'Urdax. Le quartier de Dancharia (appelé Dantxarinea, côté navarrais) dépend de sa commune.
Le propriétaire des murs de ce vaste centre commercial n'est autre que le buraliste attenant. On ignore encore quel type de commerce, ni quelles marques, occuperont l'édifice. Pourtant, « tout est déjà loué », balaie poliment l'édile. Certains soutiennent que le géant de la mode, Zara, ferait son entrée… D'autres n'y croient guèr
Dans un mouchoir de poche
Toujours plus grand. Toujours plus haut. À quelques mètres de là, en remontant la rue principale, l'autre construction passe pour un gratte-ciel. Un géant de béton et d'étais métalliques en contrebas de la chaussée. Une fois terminée, la venta-bulding comptera six étages. Mais ce chantier pose question. Les travaux sont arrêtés depuis la mort d'un ouvrier, le 25 novembre dernier. Une partie du toit s'est effondrée sur le malheureux. L'accident a secoué le village et ses 400 âmes.
Il interroge également sur les limites du développement de cette zone commerciale. À quoi bon construire toujours plus ? La demande existe-t-elle vraiment ? Jusqu'où les entrepreneurs du cru sont-ils prêts à aller dans leur soif d'investir ?
« Nous pourrions construire plus. Il reste encore de la surface disponible »
Un coup d'œil sur les vertes collines de Dantxarinea suffit à comprendre qu'ici l'espace n'est pas un problème. Contrairement à la commune navarraise de Valcarlos, serrée entre deux montages au-dessus de Saint-Jean-Pied-de-Port, où peu de commerces de grande superficie ont fini par s'implanter. « Nous pourrions construire plus, tranche Santiago Villares. Il reste encore de la surface disponible. » Trois autres projets seraient d'ailleurs à l'étude. « La commune d'Urdax compte sept quartiers. Six sont des secteurs agricoles protégés. Mais celui de Dancharia, à la frontière, a toujours vécu grâce aux ventas », dit-il. De fait, les canons d'urbanisme y sont plus « souples » que dans le reste de la vallée. Certains procédés des constructeurs ne seraient simplement pas tolérés côté français.
21 ventas et cinq stations-service cohabitent désormais dans un mouchoir de poche. « Pourtant, avant les années 1990 et 2000, nous avions du mal à envisager l'avenir », relève Txomin Iribarren, président de l'association des commerçants de Dantxarinea. L'arrivée dans la vallée des deux cousins Martikorena, Peio (venta Peio) et Javier (venta Biok et enseigne Lapitxuri), descendus d'Ibardin, a bouleversé le paysage. Révolution dans le monde jusque-là figé des ventas traditionnelles.
Les petites ventas tremblent
Javier fut le premier des deux Navarrais à jeter son dévolu sur Urdax, marqué à la culotte par Peio, décidé à miser plus grand. Dernière pièce de ce jeu de pouvoir entre frères ennemis : le fameux centre commercial de six étages. Javier Martikorena en est propriétaire.
« Avant, la frontière c'était alcool-tabac-essence. Mais aujourd'hui, nous nous sommes diversifiés. Les gens viennent chez nous acheter de la viande et même s'habiller », reprend Txomin Iribarren, issue d'une très vieille famille de commerçant de Dancharia.
Et demain ? « La prochaine étape est d'attirer des marques nous permettant de toucher une clientèle familiale qui nous échappe encore », renseigne le quadragénaire, patron d'une multitude de commerces dans toute la Navarre.
Un pari risqué
Rares sont ceux qui osent ouvertement critiquer ce modèle économique. Et pour cause, le quartier fournit du travail à quelque 500 personnes. « Dont la moitié viennent des communes françaises alentour », insiste le maire, Santiago Villares.
« Mais le risque est bien de saturer le marché», commente Iñigo Imaz, élu de la liste d'opposition Urdazubi Elgarrekin. « Avec le prix du gazole qui se vaut désormais d'un côté à l'autre de la frontière, les restrictions en matière d'achats de cigarettes et d'alcool… Les entrepreneurs font un pari risqué, mais c'est leur argent. C'est le sort des petites ventas qui nous préoccupe », explique l'historien.
La sangria ne coule pas à flots à tous les comptoirs. « Espérons simplement que l'arrivée des deux nouveaux projets ne nous fasse pas trop mal », glisse Juan Felix Alzuyet. Au royaume du Caddie, sa boutique, faite d'un bric-à-brac amassé depuis les années 70, a jusque-là résisté.
Pantxika Delobel